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LA CHUTE DE MERCIER


« Je suis innocent ; dans trois ans on reconnaîtra mon innocence. Le ministre le sait, et le commandant Du Paty de Clam est venu me voir, il y a quelques jours, dans ma cellule, et m’a dit que le ministre de la Guerre le savait. Le ministre savait[1] que si j’avais livré des documents à l’Allemagne, ils étaient sans importance et que c’était pour en obtenir de plus importants. »

Lebrun-Renaud a-t-il prononcé, dès lors, ces phrases ambiguës, volontairement équivoques, d’une subtilité jésuitique ? Cela est douteux. Il est probable que, de mémoire incertaine, il aura rapporté inexactement les propos du condamné, ou que, d’intelligence bornée, il aura commis un meurtrier contre-sens, attribuant à Dreyfus le discours de Du Paty. Et ses interlocuteurs, le colonel Guérin[2], le lieutenant Philippe[3], d’autres

  1. Cette rédaction, où Lebrun-Renaud cherche à rattraper d’autres mensonges, peut très bien vouloir dire : « Du Paty m’a dit que le ministre savait que je suis innocent et que le ministre savait que si j’avais livré des documents… » C’est-à-dire que le ministre était au courant de la tentative d’amorçage. — Quand Lebrun-Renaud donna, pour la première fois, ce texte à la Cour de cassation, le 19 décembre 1898, la visite de Du Paty à Dreyfus était connue depuis un an, après avoir été tue jusqu’alors, comme on verra, avec un soin jaloux, et par Lebrun-Renaud lui-même. Il essaya donc (avec l’aide de Boisdeffre et de Gonse) de mêler la vérité, désormais avérée, à ses anciens mensonges. À Rennes, Lebrun-Renaud récite textuellement la même phrase.
  2. Cass., I, 279 ; II, 139, rapport du 14 février 1898 ; Rennes, III, 88, colonel Guérin. — Guérin rapporte ainsi le propos : « Si j’ai livré des documents, ces documents étaient sans aucune valeur, et c’était pour en avoir d’autres plus importants, des Allemands. »
  3. Cass., I, 287, lettre au général Risbourg, datée : Bougie, 7 décembre 1898, versée au dossier par le général. Philippe donne ce texte : « Depuis que je suis avec cette canaille de Dreyfus, lui aurait dit Lebrun-Renaud, il cherche par tous les moyens à lier conversation avec moi, mais je ne lui réponds pas. Ainsi, il m’a dit que s’il avait livré des documents, ils étaient insignifiants, et que c’était dans le but de s’en procurer de plus