Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/555

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
533
LA CHUTE DE MERCIER


il a été condamné ! Propos plus grave que tous les articles de journaux, qui avaient pourtant motivé l’intervention directe de l’Empereur allemand, la dépêche de son chancelier et la menace de rappeler, ne fût-ce que pour un inquiétant congé, son ambassadeur à Paris.

Casimir-Perier, aussitôt, fit part à Dupuy « de l’irritation que lui causait ce nouveau scandale[1] ». Dupuy, non moins ému, et pour les mêmes causes, téléphona à Mercier[2]. Celui-ci, qui avait Lebrun-Renaud sous la main, proposa au président du Conseil de lui envoyer le coupable, qui recevrait de lui et du Président de la République un avertissement exemplaire. Quand ce petit capitaine, déjà averti et blâmé par le ministre de la Guerre pour ses bavardages, l’aura été encore par le premier ministre et par le chef de l’État lui-même, la tombe sera moins muette que lui. Terrorisé, il ne parlera plus des inquiétantes protestations du juif. Mercier sera tranquille.

Il donna donc l’ordre à Lebrun-Renaud de se rendre au palais de l’Élysée[3]. Mercier affirme[4] que, convaincu de la réalité des aveux de Dreyfus, et « jugeant que la chose valait la peine d’être portée immédiatement à la connaissance du Président de la République et du président du Conseil », il leur adressa l’officier de la garde

  1. Rennes, I, 64 et 68, Casimir-Perier.
  2. Cass., I, 658, Dupuy : « Le 6, au matin, ému, au point de vue extérieur, de certains récits parus dans les journaux du 5 au soir et du 6 au matin, j’en fis l’observation par téléphone au général Mercier. Celui-ci m’envoya le capitaine Lebrun-Renaud, qui me rejoignit à l’Élysée où je l’avais devancé. »
  3. Lebrun-Renaud se contredit, se coupe à chaque phrase dans le récit qu’il fait de l’incident : « Le ministre m’a donné l’ordre de me rendre à l’Élysée. — Pourquoi faire ? demande un juge. — Pour y parler des aveux ; mais on ne m’a pas laissé le temps de le faire. Le général Mercier m’a dit : « Allez répéter au Président de la République ce que vous a dit le capitaine Dreyfus. » (Rennes, III, 77).
  4. Rennes, I, 103, Mercier.