Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/558

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
536
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pensée d’interroger l’officier sur les prétendus aveux ne vient même pas à Casimir-Perier[1]. La pensée en serait venue à Lebrun-Renaud, si Mercier l’avait envoyé à l’Élysée pour en informer les deux présidents. Il eût obéi à l’ordre. Ces grands personnages semblent convaincus de la culpabilité de Dreyfus. Lebrun-Renaud eût atténué sa faute en racontant les aveux, extorqués, surpris par lui. Il n’en fait rien, parce que Mercier ne le lui a pas commandé, et qu’il n’y a pas eu d’aveux.

Casimir-Perier lui ordonna de se taire à l’avenir, lui adressa des reproches[2]. Lebrun-Renaud, qui ne demandait qu’à s’en aller, salua et sortit[3].

Dupuy le fit attendre ; Mercier arriva à l’Élysée quand l’entretien était terminé. S’il a envoyé, de lui-même, le « gendarme » à l’Élysée pour y faire le récit des aveux, son premier mot aux deux présidents sera : « Le traître a donc avoué ! » Il n’en dit rien ; rien au président du Conseil ; rien au Président de la République !

Mercier et Dupuy rédigèrent, en présence de l’officier, une note pour l’Agence Havas, et la lui communiquèrent, afin qu’il s’en pénétrât. Lebrun-Renaud, interrogé par le ministre de la Guerre lui-même, « avait certifié n’avoir fait aucune communication à aucun organe ni représentant de la presse[4] ».

Ce mensonge permettra d’éluder les questions les

  1. Rennes, I, 64, Casimir-Perier ; III, 75, Lebrun-Renaud : « Il ne me parla pas des aveux, il ne me parla de rien. » — Cass., I, 659, Dupuy : « La question des aveux ne s’est pas posée, nos préoccupations, à cette époque, se portant exclusivement sur le côté extérieur de la question. »
  2. Rennes, II, 75, Lebrun-Renaud : « Je sortis après avoir, reçu de lui des reproches. »
  3. Cass., I, 659, Dupuy, I, 869 ; Rennes, I, 152, lettre de Dupuy à Casimir-Perier : « Il m’a dit : J’étais intimidé et troublé, je ne demandais qu’à m’en aller. — Enfin, lui ai-je dit, vous êtes-vous rendu compte du but pour lequel le ministre vous avait envoyé à l’Élysée ? — Ah, pour cela, oui ; c’était pour m’y faire donner un savon. »
  4. Note Havas du 6 janvier 1895 : « Le ministre de la Guerre a interrogé le capitaine Lebrun-Renaud sur les affirmations qui