Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/54

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les cordes un peu détendues de la harpe antique jetaient encore de gracieux sons, M. Joubert rêvait je ne sais quels accords plus nouveaux, notes vibrantes, voix intimes qui déjà murmuraient confuses au sein de son jeune ami et devaient bientôt retentir avec tant de puissance. Ces temps, déjà loin du nôtre, étaient pour M. Joubert pleins de promesses et d’enchantements. Non-seulement il voyait, à la suite de tant d’orages, la terre et le ciei reprendre leur sérénité ; mais il assistait de très-près au travail de rénovation dans lequel une plume inspirée préparait aux lettres un rôle si considérable ; sa bibliothèque de la rue Saint-Honoré, la retraite de Villeneuve où il se plaisait à attirer ses amis, recevaient tour à tour les prémices de ces pages éloquentes, à la fin devenues une des gloires de notre âge. Après les extases de l’inspiration, rien n’est plus ravissant, j’imagine, pour les esprits littéraires, que ces confidences du génie livrant son œuvre vierge aux premières caresses de l’admiration. M. Joubert en jouissait avec d’autant plus de complaisance qu’il y entrevoyait, et le triomphe de ses doctrines, ct la grandeur prochaine de l’homme qu’il aimait. Ainsi croissait par la réflexion et par le sentiment cette affection à la fois philosophique et tendre qu’aiguisait peut-être encore un stimulant de plus, l’espèce de sollicitude paternelle qu’autorise envers le génie lui-même la priorité de l’âge et des travaux. Je me hâte de le dire, au surplus, il n’avait point affaire à un ingrat. Si nul homme n’a plus aimé dans le sens sérieux et mâle que ce mot a perdu, nul n’a été plus aimé que lui. Je voudrais ue pas laisser éteindre les souvenirs qu’on en garde autour de moi, car les exemples de ces amitiés désintéres