Page:Journal (Lenéru, 1945).pdf/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ANNÉE 1894


Brest, janvier


Il n’y a qu’un fléau : le découragement. Je ne pense pas seulement à la désespérance qui embrasse toute une vie, mais à ces lassitudes de tous les jours qui s'étendent à une période, à une heure. On ne désespère pas de l’ensemble, et pourtant, dans le détail, si l’on faisait la somme des moments sacrifiés, on approcherait bien du tout,

Celui qui, devant Dieu, peut sacrifier une seconde, a-t-il à se plaindre de la brièveté du temps ? Allez, il est encore trop long pour vous !


Juin.

Hâtez-vous de me secourir ô Dieu, ô Dieu de mon salut car mon esprit tombe en défaillance.

Il y a quelques années j’étais remplie de courage ; mais, réellement, était-ce alors une épreuve ? Je ne croyais pas à la durée, au temps, ce maître de toutes les énergies. Il y a eu une époque où je m’étonnais de sentir si peu le poids de l’épreuve, en y puisant une excitation qui approchait presque du contentement. Mais aujourd’hui, j’abuse, nul à ma place n’éprouverait ce que j’éprouve de détresse et d’ennui, surtout d’ennui de tous les instants.

Et cela à la seule époque où il vaille la peine de vivre ! à l’époque dont le souvenir doit consoler du reste. Je n’aurai jamais d’autre jeunesse que celle-ci. Voilà ce que mon enfance a tant, tant attendu : quand je serai grande !