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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

trouver au moins un spécieux prétexte à une activité nécessaire.

Voici mes intentions :

Pouvoir me rendre cette justice que je n’ai pas négligé le moindre lumignon dans mes ténèbres.

« Mettre de la sérénité dans mon âme. » Si nécessaire et si difficile que, pour arriver à ce grand calme, je dois « faire abstraction » de la vie. Décider que l’existence n’a pas commencé pour moi, libérale part du feu. Je suis dans un lieu indéterminé de l’espace où le temps n’est mesuré qu’au mouvement de la pensée, de la vie intérieure qui s’accroît exactement de ce qu’elle dépense. Cette situation durera autant que j’en aurai besoin pour prendre une décision morale. Alors facta erit lux et la terre commencera.

Donc, une résignation provisoire, d’ailleurs loin d’être un vain mot, car si le chemin mental que je vais parcourir ne s’ouvre qu’au prix où je l’achète, je déclare que j’ai choisi.

Considérer comme insignifiant tout ce qui est inévitable. Mettre toute la distance possible entre ce qui arrive et moi.

Je suis morte et j’assiste au revoir des choses après des siècles de tombeau.

Samedi 28 novembre.

Porter tout son être à son plus haut degré de perfection, et faire l’expérience en soi de ce que la volonté humaine peut obtenir. Pourquoi laisse-t-on ce programme aux Saints ?

Mon seul frein sera une extrême attention à me développer également dans tous les sens.

Il y a des saints, des philosophes, des lettrés, des savants, des mondains, des artistes. Dans la vie je ne choisis pas, j’ai besoin de toutes ses ressources. J’expérimenterai tout et veux même bien, et désire même, avoir fait ou faire encore les expériences désagréables, pourvu que je ne sois pas trop retenue dans la même.

Si le moment vient de rompre un jour l’équilibre, ce sera en connaissance de cause.