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NOUVELLES ET MÉLANGES.

de idizi, au même titre que parġys (= persan پرهیز) « jeûne » et que mawlutluq (= مولودلق).

Je croirais au contraire qu’il s’agit, en tout et pour tout, dans cette partie de la phrase, de deux épithètes banales, composées chacune de deux éléments symétriques et se faisant en quelque sorte contrepoids. La seconde épithète est, sans contredit, comme l’a bien vu M. Alberts, parġys idizi, littéralement « faisant le jeûne », c’est-à-dire « observant le jeune », en d’autres termes « pieux » ; c’est la traduction de l’expression persane bien connue پرهزکار « faisant le jeûne », idizi étant ici l’équivalent de کار. Reste la première épithète qui, si je ne me trompe, serait également composée de deux termes en rapport intime l’un avec l’autre et se suffisant à eux-mêmes : x + mawlutluq « qui est né… ». Le premier terme x de cette seconde épithète, bi-partie comme la première, correspondrait au mot lu sanaqat « art » par M.  Alberts. Je proposerais de transcrire matériellement saat, comme l’avait déjà fait autrefois M. Vambéry, sans d’ailleurs risquer une traduction de ce passage difficile. Je reconnaîtrais dans saat une transcription parfaitement régulière, étant données les habitudes phonétiques de l’ouïgour, de l’arabe سعد, sa‘d, sa‘ad « astre favorable, bonne étoile, heureuse fortune » ; on obtient ainsi une épithète composée tout à fait plausible en soi, et bien conforme au tour d’esprit des musulmans ainsi qu’à leurs façons de dire : saat-mawlutluq = sa‘ad-mawloudlouqسعد موارد(او) « né sous une bonne étoile, fortuné, bienheureux ». Le passage en litige se réduirait donc, en substance, simplement à ceci : « bienheureux et pieux ». C’est ainsi qu’on dirait aujourd’hui en turc osmânli, et presque dans les mêmes termes : سعد مولود پرهيز كار sa‘d-mevloûd perhîz-kiâr. De cette façon, le mirage du prétendu nom de la ville de Belassagoun s’évanouit sans retour pour faire place à ma leçon, qui, si l’on admet cette interprétation, ne laisserait plus rien à désirer.

Clermont-Ganneau.