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journal de marie lenéru

le miroir est devenu si parfait, le ciel s’y enfonçait tellement loin, que je n’ai pas pu continuer, prise de vertige, marchant dans le vide.


Lundi 25 septembre.

J’aime les glaces, j’aime m’en entourer. Elles multiplient la lumière d’abord, mais je les aime parce que je m’y retrouve. Ne s’entendre ni parler, ni remuer, ni respirer, avec des débauches de soliloques qui nous mènent à cette précieuse conclusion que le moi est la plus intangible des choses fuyantes et n’est évidemment qu’une illusion d’habitude, analogue aux aberrations d’optique… tout cela joint à l’ennui invétéré, l’ennui qui réduit les choses à leur minimum d’existence, et dans ce ralentissement du mouvement vital nous fait si bien sentir qu’il ny a rien dans l’intervalle mieux perceptible de la succession des phénomènes, rien qui demeure et soit « moi »…

Donc, quand on en est là notre visage, qui « sagt nicht Ich, aber thut Ich », nous représente la seule chose sur laquelle piquer notre nom. Je suis devant mon triptyque, à peu près comme Socrate cherchant à se reconnaître soi-même. Je dis : Marie, et j’étudie ma physionomie comme celle d’une étrangère. Nous avons beau croire, notre apparence nous