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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

faire de tragédie, et pour rien au monde je ne voudrais de la vie de ces gens qui sont heureux. Pourquoi ne suis-je pas gaie ? C’est qu’il n’y a pas ceci ou cela, il n’y a pas le bonheur, il n’y a pas l’amour, il y a la vie. Et la vie c’était moi. Ne jamais être atteinte de si près. Ô gaieté bienheureuse, vous n’êtes que bruit, lumière et mouvement ! Je ne peux pas écrire littéralement de la fiction, parce que je ne peux pas me quitter.

Des levers de lune si froids ! Un violet impérial d’Extrême-Orient et le zénith verdi comme un vieil ivoire, le glaçon lunaire dérivait là-dessus, informe, bossué.

Grande marée, plage remplie comme une coupe. La grande plaine vide pousse en avant sa tranquillité, la baie est plus en ordre. La mer atteint le pourtour, le bourrelet de sable, la plage et l’eau sont hermétiquement jointes, et les grandes profondeurs sont tout contre, comme à bord, la dune un pont de vaisseau. Pas de lames, le vent pèse là-dessus. De lents festons glissent de côté, passent devant vous, l’un après l’autre, comme un courant de rivière.


Mercredi 15 août.

Ils subordonnent toujours l’intelligence au cœur. Ô entêtement ! Mes observations sont faites : sans