Page:Journal de Marie Lenéru.djvu/218

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
154
JOURNAL DE MARIE LENÉRU


1901. Trez-Hir, 25 juillet.

On a cru perdue la caisse de mes cahiers, tout mon journal depuis dix ans, mon premier travail presque achevé, des projets, des notes et tout ce que je copiais, quand je croyais à la copie. Enfin dix ans d’existence, goutte à goutte, mes dix années terribles, à l’originalité desquelles la Providence s’est tant appliquée, goutte à goutte conservées d’une manière telle que je comptais là-dessus, sur ce pis aller de testament, pour mourir avec un peu moins de rage.

Maman n’en a pas dormi, moi j’ai constaté qu’il ne pouvait rien m’arriver de pire, qu’une grande maladie m’aurait moins volée, moins démolie… Alors il faut que je sois un monstre, puisque j’ai encore eu affaire à ce minimum d’émotion qui m’échoit toujours. Mes orientations intérieures ont des possibilités de volte-face ! J’ai une facilité de quid mihi là où je ne peux plus rien ! L’instinct de conservation est trop habile chez moi, il a trop joué. Et puis j’ai l’imagination philosophique, un raisonnement, une moralité m’habille des pieds à la tête comme une sensation.

Mais quel bonheur d’avoir retrouvé ma caisse. Elle ne voyagera plus que recommandée sur tous ses clous.

Après neuf mois, revenir ici fébrile d’émotion à