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ANNÉE 1901

fleurs magnifiques, celles des Russes, un bouquet de millionnaire. Je n’entendais pas la marche funèbre de Chopin, mais elle les obligeait à marcher si lentement que c’était vraiment très beau, et cette présence des uniformes russes, qu’on s’habitue à voir dans toutes les occasions de démonstrations fraternelles, élargissait par le monde l’idée un peu étroite, un peu familière pour nous, des traditions maritimes.

Oh ! oui, je suis fille de marins, je le suis de toutes mes fibres, de toutes mes cellules, et je rends grâce au Destin de m’avoir fait sortir, moi si dégoûtée, qui éprouve le besoin de tout comparer, de tout préférer, de m’avoir tirée d’une caste que je ne veuille pas renier.

Le marin a la grâce de l’athlète, l’intelligence d’un voyageur, la distinction que donne la solitude et le « silence des espaces » et aussi l’aventure dangereuse ; je pense moins aux officiers, mais j’ai l’amour de mes hommes.

Quand je croise ces jolies figures sérieuses, parce qu’ils sont si simples, que je les sais adorables de bravoure et d’enfantillage, j’ai envie de leur serrer la main, de leur taper sur l’épaule comme ferait un vieux chef, j’ai envie de les décorer !..

Je ne pourrais plus trouver dans la marine un milieu pour moi, mais si je me mariais, ce serait un très grand regret nostalgique de ne pouvoir épouser un marin.