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ANNÉE 1903

filleules des hommes, doivent éprouver instinctivement la surprise, l’expérience de cet abandon des êtres, des choses qu’on a cru intimes pour les avoir vues tous les jours. Quels sobriquets doivent leur paraître alors les noms humains des étoiles ! Comme ils doivent ressentir l’erreur, la disproportion de leur familiarité, la lèse-majesté de leur confiance… Dans ces moments seuls d’exception et de maléfice, et nullement par nos habitudes d’esthétique et de lyrisme, nous rencontrons les choses d’être à être et nous les sentons.

L’homme qui vous tue et, je ne sais, peut-être l’homme qui vous aime, doit prendre ainsi un caractère subit de vérité, d’étrangeté.

Ce qu’il y a d’ouvert dans le Trez-Hir, de mon lit, du fond de ma chambre, les Tas de Pois debout à l’ouest, pierres druidiques en pleine eau, ruines d’Atlantides, c’est bien les parois des continents, pour moi, la grande Porte d’Occident, le seul endroit du monde par où vraiment l’on sorte, par où « Le Français », la semaine dernière, s’en allait au pôle sud.

Le Journal des Goncourt auquel je retourne périodiquement, qui est peut-être ce que j’aurai le mieux aimé avec la correspondance de Flaubert ; ce livre fait uniquement de ce que j’ai perdu dans les choses et dans les hommes, le détail et la conversation, il est cordial, chaud et résonnant de parole humaine.