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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

et des maisons si hautes. De claires maisons plates et grises qui n’ont même pas la douceur d’être sombres. Elles surplombent, dures et pâles, comme des parois de gorges ; un courant d’air éternel ajoute au malaise des choses étroites et sans proportions.

La Penfeld encaissée, encombrée du matériel de sa marine, les constructions du port en échasses sur le roc, tout est resserré, tout est boyau, chenal, défilé. Et sa prise de large, la promenade du Cours, est une si maigre terrasse devant la rade magnifique et fermée du goulet, que sur ces kilomètres d’Océan et sur ces côtes qui sont de la campagne on respire moins qu’en traversant la place de la Concorde.

La ville devrait s’appeler Angustine.

La marine pauvre et triste l’a faite ainsi. Ô marine, ô ma mère ! Des jeunes gens passent dans les rues par larges fronts de casquettes blanches, ils sont lents et, chez eux, ils ont le recueillement du geste et l’ardeur du regard dont on couve et décèle un bonheur, et ce bonheur est le départ.

À dix-huit ans ils savent comment on part, mais pour très loin, pour très longtemps. Mon père à leur âge, s’est promené comme eux dans cette même rue de Siam, mon grand-père et son père aussi.