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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

La justice que je réclamerai le plus âprement, c’est le don de vie. Sans le fil conducteur, le guide-âne d’un caractère, je vous donne des êtres vivants, qui se tiennent absolument, dont les répliques ont l’accent, cette saveur de vie que vous ne retrouverez que chez Curel et Ibsen, et encore quand Ibsen ne fait pas de psychologie. Mettez le sujet des Affranchis au concours et je vous défie de retrouver un dialogue de cette simplicité et de cette résonance vitale. Ici le sujet fait illusion, ce sont des êtres aux prises avec la morale, donc ce sont des « entités philosophiques ».

— Abominables petits journaux !

Hélène et Philippe font de la philosophie comme M. Jourdain faisait de la grammaire… « Rien ne vaut un cri de passion », m’a écrit François de Curel, lui aussi ! Mais la passion n’a pas de paroles. Le cri de passion, sans métaphores, c’est l’onomatopée. Dès que l’on recommence à user des mots, il faut devenir intelligible et quitter la passion inarticulée, dirait Carlyle. Je ne vois d’ailleurs pas ce que la passion y perd. Quand Hélène s’écrie : « Ah ! ces guérisons fières d’elles-mêmes comme les vieilles femmes, parce qu’elles survivent ! » elle me paraît avoir trouvé un cri de passion qui vaut bien : « J’en mourrai, ma chère, j’en mourrai ! » Et Philippe qu’on exhorte à la résignation, à l’orgueil du devoir accompli « pour que