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JOURNAL DE MARIE LENÉRU


Neuilly, 1er  juin.

Comment ne pas croire aux susceptibilités dreyfusardes dans l’affaire du Redoutable, quand Mme  Duclaux — Mme  Duclaux ! — me dit : « Il y a dans la préface une âpre sincérité qui n’est pas dans la pièce ».

Passé deux heures hier entre Curel et Mme  Duclaux ; ni l’un ni l’autre n’aime la Triomphatrice. Mme  Duclaux l’appelle « cette tigresse ". À quoi je remarque : « mais madame, c’est elle qui est dévorée ». Mme  D… s’intéresse à la fille, et me demande sérieusement : « pour laquelle êtes-vous ? » Dans les Affranchis aussi c’était Marthe qui attendrissait. J’en ai la démonstration quotidienne : on ne comprend un personnage que s’il a eu des précédents littéraires. Les critiques surtout dont la mémoire est bourrée de souvenirs et qui sont classificateurs-nés. Pour eux on déformerait à peine le mot de Platon : « Comprendre, c’est se ressouvenir ». Mme  Duclaux me dit qu’elle verrait cette pièce avec cette épigraphe tirée de l’Évangile : « On ne met pas le vin nouveau dans les outres vieilles ». Je prendrai sans doute le mot de Vigny : « Et cependant, Seigneur, je ne suis pas heureux ».

Quand je revois François de Curel, il est patronal et presque affectueux, si vif, quand Mme  Duclaux me