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ANNÉE 1912

cient, le « fini » était peut-être le seul miracle dans ce monde sans commencement ni fin. Et ce n’est pas seulement en moi, mais en autrui, que je ne puis consentir à cette mort de la personnalité. Tout votre infini en est dépeuplé, c’est une solitude pire que celle qui affolait Pascal. J’avoue que la musique et la danse des sphères ne me consoleraient de rien. Il n’y a vraiment rien de plus humain dans l’immortalité impersonnelle que toutes les « joies ineffables » et philosophiques de la « connaissance » et de la contemplation ; néant pour néant, je me résigne au plus proche, au plus chaud encore de la présence humaine, que je m’endorme au moins dans mes souvenirs et dans mes angoisses, dans l’intimité des choses terrestres, et que jamais, ni Dieu, ni l’infini ne me réveille à l’oubli de ce qui fut moi-même, n’interpose une extase entre ma conscience et moi.

Hélas ! ce n’est pas encore la sagesse… et voilà une bien médiocre manière d’exprimer une gratitude si réelle, que peut-être cet aveu, ce regret de nous-mêmes, auquel vous donnerez de me survivre, sera pour moi une de ces revanches qui calment et endorment au moment de la nuit où l’on n’a pas sommeil.