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ANNÉES 1914-1915

Ah, qu’il y avait donc de bonheur à perdre en ce monde ! Nul plus que moi n’en est impressionné, n’en ressent avec plus de révolte le crime et le sacrilège, ô frêle et précieux bonheur humain, bonheur dispensé aux foules, bonheur que je n’aurai pas eu.


4 octobre.

Décidément, sur la guerre, je ne peux plus lire que des soldats ou des pacifistes ; des autres, j’attends toujours des paroles qui ne viendront jamais…

Maintenant, vous les éloquents, les émus, les élégiaques, occupons-nous un peu de la « fatalité » de la guerre. Car enfin, quel rôle jouez-vous, ô dilettantes de l’héroïsme et de la mort, si d’autres, dont vous ne serez pas, prennent soin, dès aujourd’hui, d’empêcher le retour de vos fatalités, de vos lois de l’histoire ? Cette passivité de l’intelligence devant la guerre, la manière dont auront réagi nos artistes, cette exploitation pure et simple du fait par la littérature, est ce qui m’aura le plus démontré, l’humanum paucis vivit genus.

Dans cinquante ans, les successeurs de tous ces gens-là feront vivre leurs talents d’ironies vengeresses contre la croyance aux mobilisations générales, nécessités humaines. Mais les initiateurs, d’où