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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

tation esthétique du martyre des autres, le néant de l’effort devant l’inacceptable et l’inadmissible. Cette opposition de la fièvre et du sursaut à la résignation du sage qui déplore, mais qui n’y peut rien, ces quantités variables de la volonté, est encore ce qui m’a le mieux fait comprendre la différence des destinées humaines.

À Puech. — Je n’aime pas ce que vous me dites de mes lettres, les lettres, cela se publie après la mort et personne, moins que moi, n’écrira pour la postérité. Je hausse les épaules devant les écrivains qui travaillent pour elle. Je ne veux avoir de talent que pour mes contemporains, pour ceux-là seuls qui me sont destinés, dont je peux croiser le regard, et sentir battre le cœur. Non, je ne crois décidément pas à la postérité, pas plus à ses sanctions qu’aux satisfactions qu’on en reçoit !

La postérité est morte pour moi qui serai morte pour elle.

À Mme M. — Je ne me sépare de vous que dans votre désespoir de l’action possible. Je crois la guerre, la guerre fatale, comme toutes les choses qui ont été fatales au monde, un faux épouvantail. Pensons ce que nous voudrons de la nature humaine et de la nature des masses, peu importe ! Ce n’est pas à elles que nous nous heurterons, l’obstacle n’est pas si grandiose. Ceux qu’on a fait obéir à un ordre