Page:Journal des économistes, 1843, T4.djvu/184

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même des mœurs et des travaux techniques. Dans une autre phase de l’histoire, c’est la civilisation industrielle qui fait valoir son empire, et qui crée avec d’irrésistibles forces un nouvel état social. Presque toujours le développement d’une puissance, d’une force, engendre une lacune dans l’ensemble des facultés, et souvent ce développement est la source d’influences nuisibles et de déplorables réactions dans le monde moral et matériel.

Dans toutes les théories de perfectionnement qu’on veut appliquer à l’humanité, il faut tenir compte des éléments qui se modifient les uns les autres, et des limites où se trouvent nécessairement renfermées toutes nos facultés. Celles-ci ne se développent point collectivement ; elles ne grandissent pas à la fois, et elles ne se maintiennent pas individuellement au même rang. Le même fait qu’on remarque chez l’homme se produit aussi dans les sociétés, et la défectuosité de notre nature ne nous permet pas d’exceller à la fois dans la pratique de toutes nos connaissances. Des tendances différentes créent naturellement des situations différentes ; la véritable valeur de chacune de ces situations ne s’obtient que par comparaison, et, dans cette comparaison, il faut mettre en présence l’état social tout entier de deux époques différentes. Ce n’est pas une chose facile que de dresser en quelque sorte le bilan de deux générations éloignées l’une de l’autre ; ce n’est pas une chose facile que d’apprécier le bien et le mal qui résultent d’une certaine manière d’être ; ce n’est point enfin une chose facile de es prononcer sur les moyens propres à augmenter le bien et diminuer le mal. Il faut, pour cela, être doué d’une vue en quelque sorte universelle, et savoir compter et coordonner toutes les forces de résistance et d’initiative qui se manifestent dans une société ; il ne faut se laisser entraîner ni par des penchants ni par des idées isolées ; il faut embrasser d’un regard lucide tous les phénomènes qui surgissent à la fois dans un moment donnée, tous les faits que l’expérience nous offre dans un autre moment donnée. Dans les théories, sans doute les idées de classent et réagissent moins les unes sur les autres. On agence et l’on bâtit facilement un système philosophique, un système social ; il ne s’établit point là de combat entre des tendances opposées ou rivales, et tout s’arrange au gré de l’intelligence pacifique qui invente et qui combine. Dans la réalité, et lorsque les intérêts et les passions des hommes sont en jeu, lorsqu’on descend de la région élevée des sciences dans l’arène des désirs, des espérances, des besoins et des nécessités, alors on voit clairement que la force qui triomphe d’une part a pour corolaire la faiblesse de l’autre, que la faculté qui surnage laisse un vide derrière elle, et que cet arrangement si fin et si subtil de l’école ou du novateur ne supporte pas toujours le contact brutal de la vie réelle.

Nous avons déjà dit qu’il n’y avait pas de civilisation complète. Il y a des civilisations partielles qui ont chacune leur nuance et leur carac-