Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/225

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

au dehors, jamais ce superbe personnage ne rompait le pas digne et mesure de ses ancetres; rien ne lui elait plus agreable que de prendre sa canne a pomrrie d’or et de quitter sa boutique pour aller visiter ses voisins plus pauvres et faire parade de son autorite en s’informant de leurs affaires, en s’immiscant dans leurs querelles, en les forgant de vivre honnetement et de diriger leurs entreprises d’apres son systeme. ll conduisait son propre commerce exactement a la maniere de ses peres.Ses commis, ses garcons de magasins, ses commissionnaires avaient des uniformes particuliers, et leurs rapports avec leurs chefs ou entre cux etaient regies d*apres les lois de l’etiquette etablie. Chacun d’eux avail son departement special ; au comploir ils gardaient leur rang avec une exactitude pointilleuse, comrne des fttats voisins mais rivaux. La boutique de ce marchand de la vieille ecole conservuit toutes les dispositions et tqus les inconvenients des boutiques des sieeles precedents. On ne voyait point a sa devanture un etalage fastueux destine a amorcer les passants, et le vitrage enchasse dans de lourdes travees do bois etait bati-.d’apres les anciens modeles.

a Le siecle actuel a produit une nouvelle ecole de marchands, dbnt la premiere innovation a ete de renoncer a la perruque poudree et de congedier le barbier avec sa boite a pommade; grace a ce progres, une heure a etc gagnee sur la toilette de chaque jour. La seconde a consiste a remplacer les souliers et les inexpressibles, dont les complications de boucles et de cordons et les formes etroites exigeaient uue autre demi-heure, par des bottes a la Wellington et des pantalons que l'on met en un tour de main et qui laissent au corps toute la liberie de ses allures, quoique peur-etre aux depens de la dignite exterieure. Ainsi vetus, ces actifs marchands peuvent presser ou ralentir le pas selon que les affaires qui les appellent au dehors sont plus ou moins urgentes; ils sont d’ailleurs si absorbes par le soin de leurs propres affaires, qu’ils savent a peine les noms de leurs plus proches voisins, et qu’ils ne s’inquietent pas si ces gens-la vivent en paix ou non aussi longtemps qu’on ne vient pas briser leurs vitres.

«L’esprit d’innovation ne s’est pas arrete la : les boutiques de cette nouvelle race de marchands ont subi une metamorphose aussi complete que leurs proprietaires. L’economie interieure de la maison a ete reformee en vue de donner au travail toutes les facilites imaginables ; on a dispense les employes de toutes formalizes d’etiqueite, on a meme tacitement consenti a suspendre les egards dus au rang, en tant qu’ils pouvaient arreter l'expedition des affaires ; enfin, a l'exterieur, des vitrines construites en verre plat avec des bordures elegantes et s’etendant du sol jusqu’au plafond, ont allire les regards sur toutes les seduisantes nouveaules du jour.

«Nous savons tous quels ont ete les resultats de cette rivalile inegale. Lesabcieiks et paisibles boutiquiers fideles aux uset coutumes de leurs perres succomberent l'un apres l’autre sous I’active concurrence de leurs voisins plus alertes. Quelques-uns des disciples les moins infatues de la vieille ecole adopterent le nouveau systeme, mais lous ceux qui essayerent de resister au torrent furent engloutis. Nous ajouterons que le dernier de ces interessants specimens du bon vieux temps; qui avait survecu a deux generations de boutiquiers et dont les vitrages non modernises rejouissaient l'ame des vieux tories passant dans Fleet street, a fini par disparaitre apres avoir vu son nom figurer dans la Gazette, a Tar tide Banqueroutes.

« Eh bien ! la Grande-Bretagne se trouve aujourd’hui vis-a-vis des Etats-Unis absolument dans la situation ou se trouvaient naguère les boutiquiers d’autrefois en presence des boutiquiers modernes. Notre dette peut etre regardée comme la culotte qui nous empeche de nous mouvoir avec autant d’aisance que nos voisins pantalonne’s. Les souliers carres et les boucles polies sont les lois féodales et les droits de douanes qui ralentissent la marche et entravent les entreprises de John- Bull en concurrence avec frère Jonathan, botte* a la Wellington. Nous comparerons la perruque poudree et la queue à notre eglise etablie, laquelle exige, malgre" son