Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/67

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conomie politique. L’économie politique est une science théorique, qui est faite sans doute pour diriger la pratique, mais qui reste, en général, à distance de l’application ; les nouveaux cours du collège de France auront pour objet l’application immédiate. L’économie politique est une science de raisonnement, sans préjudice sans doute de l’observation ; d’après les termes mêmes du rapport qui précède et qui motive le décret d’organisation du collège de France, les cours nouveaux, destinés spécialement aux élèves de l’École administrative, ont pour programme « la connaissance des faits et des lois d’expérience dans les diverses branches de l’économie générale de la nation. ». L’économie politique envisage la production et la répartition d’un point de vue général ; les cours nouveaux considèrent de la manière la plus distincte l’agriculture, les manufactures, les mines, le commerce. C’est donc bien différent.

Napoléon ne voulait pas de l’enseignement de l’économie politique : c’était dans son rôle de despote. Il ne pouvait lui convenir que l’esprit humain s’exerçât sur les questions de gouvernement. Il repoussait, en les qualifiant dédaigneusement d’idéologues, tous ceux qui cultivaient les sciences politiques. J’aurais cru que la République française, qui doit aimer la discussion libre et éclairée des actes de l’autorité, n’épouserait pas la querelle de Napoléon contre l’économie politique, et qu’au contraire elle aurait à cœur d’en répandre beaucoup l’enseignement.

Agréez, etc.

MICHEL CHEVALIER.

Il nous a paru piquant de rapprocher de cette destitution d’un savant qui avait traversé, non sans éclat, l’école saint-simonienne, par deux autres publicistes émérites de la même école, après la Révolution populaire de 1848, le passage suivant du premier discours d’ouverture de M. Michel Chevalier en avril 1841[1]. On y trouve l’esprit large et généreux de son enseignement.

  1. « …Consultons donc la politique, consultons-la comme un oracle devant lequel l’économie politique incline son front, et demandons-lui quelle est la grande affaire de notre temps, quelle cause tient en suspens la France et tous les peuples. C’est que la civilisation est en enfantement de la liberté. Depuis un demi-siècle, ce travail immense a déjà eu trois phases qui ont suffi à user chacune un gouvernement. De ces trois périodes, la première, celle de la République, fut consacrée à l’abolition des privilèges ; celle de l’Empire fut employée à inscrire et à formuler en détail dans les lois le principe de l’égalité civile, et à en promener l’étendard triomphalement dans toute l’Europe ; la dernière, celle de la Restauration, servit à façonner la bourgeoisie à l’exercice des libertés politiques, et l’accoutuma à intervenir dans les affaires du pays. Depuis 1830, un acte nouveau a commencé, qui achèvera l’œuvre, il s’agit de compléter, sous les auspices de la paix, l’émancipation de la seconde moitié du tiers État, des classes ouvrières des campagnes et des villes. « Tel est le problème de l’époque. « Dans cette phase finale et solennelle de la Révolution française, les intérêts matériels, domaine de l’économie politique, deviennent dignes de la plus haute considération. Du moment où il s’agit des classes ouvrières, la liberté est étroitement liée aux intérêts matériels. La définition la plus exacte et la plus large de la liberté est celle-ci : elle consiste à assurer à chacun les moyens de développer ses facultés, et de les exercer ensuite de la manière la plus avantageuse pour soi-même et pour ses semblables, (’ne fois la liberté définie ainsi, il s’ensuit forcément qu’elle ne peut se passer de l’appui des intérêts matériels. En effet, l’homme qui a faim n’est pas libre, il n’a pas la disposition de ses facultés, il ne peut ni les développer, ni les exercer. Moralement, il