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VISIONS DE L’INDE

ples que l’eau a recouverts, les murailles des palais, des troupes rieuses jouant autour de nous dans le Gange. L’odeur est moins insupportable que vers le soir, à la chute du soleil. Les bûchers qui brûlent les morts sont éteints. Ces vieilles pierres magnifiques et écroulées, ces terrasses, ces galeries, ces pagodes pointues et agglomérées, que dominent les deux colossaux minarets de la mosquée d’Aureng-Zeb, ces ruines qui s’écrasent et s’épaulent les unes les autres, comme si le marbre, l’or, le granit étaient ivres, eux aussi, de leur vieillesse éternelle et de ce printemps éphémère, — tout ce décor somptueux et misérable, solennel et délabré, se farde avec la rose précaire de l’aube. La population semble les acteurs naturels évoluant dans ce décor de féerie millénaire, tellement sénile que la grandeur survivante n’excite plus que la pitié… Chétifs, diabétiques, précocement vieillis par les fièvres et les congestions du foie, n’ayant guère gardé de leur beauté légendaire que des yeux immenses, mouillés et sombres, ils grouillent, hommes, femmes et enfants, dans l’inconscience de leur dégradation, uniquement soucieux de laver en l’onde maternelle et hideuse le péché de leurs âmes plus que la poussière de leurs corps. C’est un mysticisme de baigneur et de lavandière, agrémenté aujourd’hui de cette allégresse encore