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VISIONS DE L’INDE

dessus enveloppé de couvertures ; ma valise est suspendue sur le flanc de la tonga, au-dessus des roues, par des cordes entrelacées avec cet art de sauvage à la fois esthétique et enfantin. Quant au palefrenier, il virevolte autour de moi, tantôt grimpé sur le toit, tantôt à cheval sur mon sac, tantôt sur le timon des chevaux. Il échange de temps en temps quelques mots sentencieux et utiles avec le cocher, dont le fouet au manche court n’effleure jamais la croupe du cheval, quand même il serait tout à fait rebelle. Il n’use pas de ce moyen barbare, trop occidental, et il n’en a pas besoin. Une communion subtile le relie à ces animaux, comme si l’homme et la bête, dans ce pays antique, parlaient encore le même langage, avaient la même âme… On rêve à des périodes fabuleuses, à l’aurore du monde ; on s’explique le mythe du centaure qui est la parfaite harmonie de l’humain et du cheval… Aussi ce fouet n’est plus un fouet, mais un sceptre. Le cocher lève cette arme innocente, la tient un moment en l’air avec un léger sifflement dans la bouche, et les rosses les plus têtues s’enlèvent irrésistiblement…

Quelle joie de respirer un autre air que l’air empesté de Calcutta ou de Bénarès ! Une végétation de paradis terrestre m’enveloppe et me parfume. Elle ragaillardit les poumons, enchante les yeux, les es-

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