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VISIONS DE L’INDE

semblable à ces fourmis qui traînent des fardeaux dix fois plus gros qu’elles. Je vais les croiser sans cesse dans les Himalayas ; ils m’émeuvent, humble peuple sacrifié qui ne proteste jamais, plus intéressants que ceux des plaines, parce que, plus près du ciel, ils apparaissent davantage des hommes.

Nous voici arrivés à Kathgodam. Il fait faim. Je laisse ma tonga. J’entre dans une gentille auberge, tenue par un couple tel qu’il s’en trouve dans les romans de Dickens. Le vieux est un ancien sous-officier retraité, respectueux des règlements ; et la femme, une grosse ménagère, prépare d’excellents breakfasts, entre son corbeau familier et sa bouteille de wisky. Elle sue la santé et l’ivrognerie, qui, ici, vont souvent ensemble, et on ne sait si ses joues rebondies et roses sont dues à l’efficacité du grand air ou à un abondant alcool. Son auberge est un rez-de-chaussée coquet et propre, où quelques vieilles misses ont installé leur dédain, que la nature leur a rendu en laideur et en disgrâce. De leurs yeux glacés, elles regardent, sans le voir, au milieu des fleurs qui font de Kathgodam et de l’auberge un grand bouquet sorti du roc, ce paysage sublime d’abîmes et de torrents, où planent les aigles et les vautours…

De là, j’irai, à cheval, à Naini-Tal, cette bourgade éparpillée autour d’un lac en l’abri de cimes inaccessibles.