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VISIONS DE L’INDE

Ces quelques tombes envahies par les plantes luxuriantes m’émeuvent plus que nos cimetières d’Europe, si riches et si nombreux. La simple croix de bois qui s’érige au milieu de ce champ, situé dans une clairière de la forêt, sur ce sol que des chrétiens tentent d’arracher aux dieux innombrables, n’est pas, comme chez nous, un symbole de convention, la dernière parure accoutumée, la mode occidentale de la mort. Cet instrument de supplice est bien à sa place ici. Des héros obscurs dorment là. Explorateurs, moines ou moniales, ils ont quitté la famille aimée, la saine patrie, pour une race parfois répugnante, et, malgré la vie côte à côte, toujours distante, — pour un pays de vertige et de danger.

Ils ont porté la croix de l’exil et, avec raison, la croix demeure sur leur tombe, — leur tombe, elle-même, exilée.

Le Père Engelberg m’accueille selon la virile hospitalité hollandaise. Nous trinquons ensemble avec ce « claret » blanc qui vient du Portugal et qui est ici la boisson des catholiques tandis que le wisky heurte le palais protestant. Son visage énergique est tempéré par cette douceur dans la voix, qui est souvent une des caractéristiques de la véritable force. Tout de suite, il me fait visiter la maison nouvelle dont les balcons sont éclatants de fleurs. Nous causons de notre Europe ; elle est si

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