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VISIONS DE L’INDE

Je suis isolé, incapable d’un effort utile. Je sens le petit frisson de la mort. On ne m’ôtera pas de l’idée qu’un accident vient d’arriver, que le couple téméraire a chaviré dans l’eau perfide. Les divinités du lac, impitoyables et hypocrites, ont assouvi leur méchanceté. Je ne sais quoi de haineux et de faux, comme cette lueur spéciale aux yeux des fauves, vient de passer sur ce paysage sublime.

Rozian, mon boy, continue de dormir, dans mes couvertures de voyage, d’un sommeil de bête assommée ; c’est un tas obscur au coin de la terrasse. Je le regarde dans l’indifférence de son anéantissement profond. Et une lâcheté me vient de cet être qui dort, une torpeur orientale qui incite à laisser s’accomplir les destinées, à ne pas intervenir dans le crime des dieux…


Le silence, — un silence mortel, cette fois — recommence. Je regarde le pic de « China » qui plane sur Naini-Tal. Le roc géant garde un air sauvage, avec sa chevelure foncée d’arbres, çà et là tachée de neige. Les confidences de Bharamb, mon brahme, traversent mon cerveau enfiévré. Là résiderait un Mahatma, un homme-Dieu ; il aurait le don d’apparaître et de disparaître, vivrait depuis des siècles, jeune toujours ; et il méditerait près d’un feu que ses paroles allument, en face des