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VISIONS DE L’INDE

tandis qu’il faut jouer des coudes, se débattre, pour avancer. Les robes se tachent de rouge, mon soulier dégoutte de sang. Le prêtre, notre guide, bégaie des phrases qui n’ont plus de signification. Il est saoulé par le sacrifice, par la vision aussi de la Déesse, qui se révèle enfin à nous. Le long d’un parvis surhaussé se bousculent des fanatiques. Leur grouillement de tout sexe, de tous vêtements s’écarte à l’objurgation du prêtre qui tend la main, glane nos roupies. La retraite, mouillée et noire, entre la haie des adorateurs, apparaît, avec la Déesse tout au fond, basse, laide, bancroche. La voilà, Kali, une pierre lugubre, à trois yeux, avec des bras de fantoche, naine préhistorique !…

Je trébuche dans des paquets velus et noirs. Ce sont les corps d’autres chèvres décapitées. D’énormes vautours tourbillonnent, cherchant des débris de chair. Nous piétinons dans un corridor à ciel ouvert entre d’autres temples. Tout près, l’égout se déverse ; et c’est, après l’odeur du sang, une pestilence telle que la jeune Belge à qui j’ai offert mon bras pense se trouver mal. Au-dessus de nous, juché sur une tribune de pierre, le dos contre une colonne, — faisant présider l’indifférence au massacre, — un fakir au visage souillé de poussière regarde de ses yeux vitreux, intérieurs, sans la voir, la foule folle et bigarrée.