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VISIONS DE L’INDE

l’inaccessible, — je n’ai senti la vie occulte de la rivière aussi mêlée à l’agitation extérieure, et, sans doute, à rame de la cité. Tandis que le Gange a quelque chose de vénérable, d’éteint et de vieilli, la Jumna est pimpante, gracieuse, fragile, vivante. J’écris « vivante », il faut comprendre « mortelle » aussi.

Une fièvre spéciale, plus légère, certes, que les terribles miasmes du fleuve shivaïque, mais pénétrante, angoissante, féconde en ces troubles amoureux et mystiques dont Chrisna dispense le privilège à ses fervents, monte de cette onde limoneuse où grouillent d’énormes reptiles. Les rues sont propres pourtant, coquettes, dallées comme à Jeypore ; les bazars sont larges et aérés ; les courtisanes, se penchant aux balcons fins et dentelés, sont étincelantes comme des idoles et l’or massif de leurs bijoux insinue au bronze de leur peau un reflet jaune. On les sent plus à l’aise ici que partout ailleurs, sous la protection de Chrisna qui, favorable à leur métier, est lui-même la danse, le chant et la caresse divinisés.

Je suis las des guides, même des plus doctes… Pour me conduire vers les temples et pour m’apprendre à communier avec la rivière sainte gonflée de secrètes carapaces, j’augure mieux d’une bayadère…

15.