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VISIONS DE L’INDE

Pais, avec celle facilité dans la volte-face d’âme qui est caractéristique de l’Hindou, ce père modèle me montra un bizarre promeneur solitaire et oscillant qui paraissait ivre et esquissait, avec des gestes de coquette, le déhanchement des bayadères. Il s’avançait au milieu des sourires. Une vanité de bouffon accentuait son allure qui se savait remarquée.

— Est-ce un homme ou une femme ? demandai-je.

— Il n’a plus de sexe, Sâb. Par excentricité il s’est émasculé. Ainsi il vit sans travailler, en s’exhibant lui-même dans les fêtes. On paye ses simagrées de quelques païsses. Certains le traitent de fou, d’autres le soupçonnent de familiarités infâmes. En somme, il est inoffensif ; et, dans toutes nos foires, il fait la collecte, après avoir joué une pantomime ou dansé le pas des bayadères en renom…

Peu à peu, en effet, tous les regards affluaient vers l’insexué avec bienveillance ; on se garait pour le laisser passer. Il amusait et suscitait cette espèce d’admiration que tout Indien réserve pour celui qui a trouvé le moyen de se tirer d’affaire sans adopter un métier précis et qui porte le sceau de quelque fatalité le séparant de ses frères. Une pitié tempérée de mépris me gagna devant cet inversif qu’un délire dérisoire faisait gambader de ses jambes épi-