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VISIONS DE L’INDE

six mille ans, né si loin de mon coin de terre, parlant une autre langue, adorant un autre Dieu, a été mon meilleur ami. Il a vécu à Paris plusieurs semaines dans ma maison ; nous avons parcouru ensemble Constantinople, la Grèce et l’Égypte. Il a incarné pour moi, avec son génie et son périlleux délire, cette Inde que j’ai chérie comme la patrie de mon rêve, l’éden où vit l’idéal.

Nous avons discuté toutes les questions de la destinée et de l’au-delà. Comme le grand Tolstoï qui va mourir, cet Hindou a ceci de particulier qu’il conforma sa vie à sa pensée, menant l’existence des vagabonds, ayant renoncé à tout ce qui fait la joie et l’orgueil des autres hommes : la famille, les amours, la gloire même d’écrire et d’être un artiste. Un moine ! Son histoire est « représentative », comme dirait Emerson. Étant enfant, il rencontra un sage, un « parahamsa », un « mahatma », une grande âme. C’était un brahmane, ignorant en science, mais formidable en ascétisme et que ses disciples appelaient « Ramachrisna » ; ce nom associe les deux grands héros de l’Inde, dont on supposait qu’il était la réincarnation. Ramachrisna ne sut jamais le sanscrit, qui est pourtant la langue sacrée ; il n’écrivit jamais, il ne voyagea point, il coula sa vie délicate et assez brève dans les jardins d’un autre temple de Kali, au nord de Calcutta. Il parlait