Page:Jules Bois - Visions de l'Inde.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
VISIONS DE L’INDE

le même drame, se repaître d’opéra et de féerie. Nous montons jusqu’à notre loge dont l’encorbellement est découpé comme un portail musulman. Le théâtre est gai, gentil, peint en clair, plus italien qu’anglais. Dans le foyer frivole, des portraits d’ascètes méditants ornent les murs. Ce peuple, même au théâtre, songe à la Divinité.

Sur des bancs, les babous s’entassent graves, ventrus avec leur mousseline nouée plusieurs fois à travers la poitrine (c’est ici l’uniforme distinctif des bourgeois). Les autres loges sont presque vides. Nous sommes les seuls Européens. La loge centrale est occupée par un rajah dont l’aigrette de diamants semble un petit panache de flamme et dont le cou est ceint de perles magnifiques. Ses yeux, chargés d’une atavique langueur, traduisent la naïveté de la jeunesse et toutes les lassitudes déjà que donne l’opulence. Auprès de lui, sa cour en turbans se presse avec des costumes amusants qui mêlent les modes anglaises aux magnifiques draperies natives. En haut, derrière un moucharabié, des voiles pailletés tremblent, des corps ondulent avec une souple nonchalance, et la curiosité d’yeux ardents que l’on entr’aperçoit par les brisures de la boiserie. Ce sont les femmes du Bengale, les plus vives, les plus gracieuses, les plus spirituelles de toutes les femmes de l’Inde, celles dont la beauté et la finesse font