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VISIONS DE L’INDE

avec tout le respect dû à la race conquérante. À ma grande stupéfaction, quand je remonte en voiture, les musiciens sont descendus de la terrasse et me font escorte. Ils abandonnent le Dieu Shiva pour faire honneur au « melek », à l’impur. Ils me sourient de leurs yeux sombres et doux, tout en soufflant dans des trompettes et en agitant des cymbales ; et ce sourire me supplie, spirituel et d’un scepticisme infini : « Qu’est-ce que ça fait, dit-il, Shiva et le taureau et le lingham ? Nous sommes de pauvres gens qui veulent vivre. Donne quelque chose, et le dieu qui a construit ce palais d’illusion qu’est l’univers, ce dieu (le tien ou le nôtre, peu importe), te bénira d’avoir été généreux ! ».

J’ai enfin quitté mon brahme qui n’était qu’un embarras pour moi.

Maintenant, je vais à pied dans les venelles obscures, infectes. Je glisse sur la terre mouillée, comme gélatineuse. Une humidité malsaine pénètre mes os, éveille les rhumatismes endormis par le soleil. Je suis dans le quartier du Temple d’Or. Les pèlerins me submergent, j’écrase leurs pieds nus, mes coudes entrent dans leurs maigres côtes ; ils ne sentent rien, ils ne se plaignent pas, leurs yeux vides sont des puits d’extase.

Un guide improvisé me tire par la main sous des galeries, m’empêche, avec des précautions de sœur,