Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/151

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Voici le lac avec une ou deux barques dans les roseaux, des cabanes perdues dans des champs tout autour.

On m’a dit d’aller vers la hutte à gauche, chez Jean Robanès ; je n’ai qu’à dire que je suis le neveu du curé, on m’offrira du lait et on me montrera les protestants.

On m’accueille bien ; « et quant aux protestants, me dit l’homme, il y en a un qui est justement là-bas, debout dans le sillon. »

Il a l’air dur et triste, — maigre, jaune, le menton pointu, — et raide comme une épée.

Est-ce que les gendarmes ne le surveillent pas ? lui parle-t-on ? A-t-il un boulet ? Je me rappelle bien que l’on punit tous les impies dans la Bible, et les livres de la bibliothèque les appellent des scélérats ! J’en touche un mot à mon oncle, le soir ; il me répond mal, et je commence à croire qu’il en est des protestants infâmes comme des bêtes qui parlent dans La Fontaine. Des farces tout ça !


Il faut partir.

Mon oncle a une tournée à faire, et je dois d’ailleurs bientôt rentrer à Saint-Étienne pour le collège.

Nous partons par le chemin que j’ai pris pour venir, mais j’ai cette fois un cheval doux, on m’a caleçonné, ouaté, et je me suis suifé d’avance. D’ailleurs, j’ai monté à cheval depuis un mois, je suis aguerri, et je trouve une joie bien vive à me retourner sur la selle pour dire adieu au paysage. Je donne un