Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/22

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Il y a aussi ma cousine Apollonie ; on l’appelle la Polonie.

C’est comme ça qu’ils ont baptisé leur fille, ces paysans !

Chère cousine ! grande et lente, avec des yeux bleu de pervenche, de longs cheveux châtains, des épaules de neige ; un cou frais, que coupe de sa noirceur luisante un velours tenant une croix d’or ; le sourire tendre et la voix traînante, devenant rose dès qu’elle rit, rouge dès qu’on la regarde. Je la dévore des yeux quand elle s’habille — je ne sais pas pourquoi — je me sens tout chose en la regardant retenir avec ses dents et relever sur son épaule ronde sa chemise qui dégringole, les jours où elle couche dans notre petite chambre, pour être au marché la première, avec ses blocs de beurre fermes et blancs comme les moules de chair qu’elle a sur sa poitrine. On s’arrache le beurre de la Polonie.

Elle vient quelquefois m’agacer le cou, me menacer les côtes de ses doigts longs. Elle rit, me caresse et m’embrasse ; je la serre en me défendant, et je l’ai mordue une fois ; je ne voulais pas la mordre, mais je ne pouvais pas m’empêcher de serrer les dents, comme sa chair avait une odeur de framboise… Elle m’a crié : Petit méchant ! en me donnant une tape sur la joue, un peu fort ; j’ai cru que j’allais m’évanouir et j’ai soupiré en lui répondant ; je me sentais la poitrine serrée et l’œil plus doux.

Elle m’a quitté pour se rejeter dans son lit, en me disant qu’elle avait attrapé froid. Elle ressemble