Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/259

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« Attention à l’auriculaire, » dit toujours M. Soubasson, qui s’est fait indiquer les noms scientifiques des doigts de la main, et qui trouve que le latin est une bien belle chose, vu que c’est toujours avec ce petit doigt qu’il se fouille l’oreille. Il se la fouille même un peu trop à mon idée.


Ce que ma mère me dit de choses blessantes pendant la leçon de maintien, ce que je la fais souffrir dans ses goûts d’élégance, cette femme, à quel point je suis commun et, j’ai l’air d’un paysan, non ce n’est pas possible de le dire ! Je ne puis pas arriver à glisser mon pied ni même à tenir mon petit doigt en l’air !

« Je te croyais fort, » dit ma mère, qui sait que je pose un peu pour le mognon et qui veut me blesser dans mon orgueil.

Je ne suis pas fort, il paraît, puisque au bout de dix minutes, l’auriculaire retombe énervé, demandant grâce, crispé comme une queue de rat empoisonné ! Rien que d’y penser il se tord encore aujourd’hui et j’en ai la chair de poule.

Au bout de deux mois, c’est à peine si je suis en état de faire une révérence à trois glissades ; en tout cas, je suis incapable de parler en même temps. Si je parlais, il me semble que je dirais : j’avons, jarnigué, moussu le maire, parce que je salue comme les villageois dans les pièces. Il me prend des envies quand je répète avec ma mère de l’appeler « Nanette » et de lui crier que je m’appelle « Jobin, » ce qui