Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/30

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marmotte toujours entre ses dents, me regarde d’un œil dur, m’ôte brutalement ma chaise de dessous moi, sans m’avertir, met le quinquet sur mes cahiers, jette à terre mon petit paletot, me pousse de côté comme un chien, et sort sans dire un mot. Je ne dis rien non plus, et ne parle pas davantage quand mon père revient. On m’a appris qu’il ne fallait pas « rapporter. » Je ne le fais point, je ne le ferai jamais dans le cours de mon existence de collégien, ce qui me vaudra bien des tortures de la part de mes maîtres.

Puis, je ne veux pas que parce qu’on m’a fait mal, il puisse arriver du mal à mon père, et je lui cache qu’on me maltraite, pour qu’il ne se dispute pas à propos de moi. Tout petit, je sens que j’ai un devoir à remplir, ma sensibilité comprend que je suis un fils de galérien, pis que cela ! de garde-chiourme ! et je supporte la brutalité du lampiste.

J’écoute, sans paraître les avoir entendues, les moqueries qui atteignent mon père ; c’est dur pour un enfant de neuf ans.


Il est arrivé que j’ai eu très faim, quelques-uns de ces soirs-là, quand on tardait trop à venir. Le réfectoire lançait des odeurs de grillé, j’entendais le cliquetis des fourchettes à travers la cour.

Comme je maudissais mademoiselle Balandreau qui n’arrivait pas !

J’ai su depuis qu’on la retenait exprès ; ma mère avait soutenu à mon père que s’il n’était pas une poule mouillée, il pourrait me fournir mon souper