Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/58

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Elle attendit longtemps…

Quand je partis, elle attendait encore. Ce n’était pas son mari, car sur la petite malle qu’elle avait à ses pieds, il y avait écrit : « Mademoiselle. »

Je la rencontrai quelques jours plus tard devant la poste ; les fleurs de son chapeau étaient fanées, sa robe de mérinos noir avait des reflets roux, ses gants étaient blanchis au bout des doigts. Elle demandait s’il n’était pas venu de lettre à telle adresse : poste restante.

« Je vous ai dit que non.

— Il n’y a plus de courrier aujourd’hui ?

— Non. »

Elle salua, quoiqu’on fût grossier, poussa un soupir et s’éloigna pour aller s’asseoir sur un banc du Fer-à-cheval, où elle resta jusqu’à ce que des officiers qui passaient l’obligèrent, par leurs regards et leurs sourires, à se lever et à partir.

Quelques jours après, on dit chez nous qu’il y avait sur le bord de l’eau le cadavre d’une femme qui s’était noyée. J’allai voir. Je reconnus la jeune fille à la tête pâle…


Je vais chez mes tantes à Farreyrol.

J’arrive souvent au moment où l’on se met à table.

Une grosse table, avec deux tiroirs de chaque bout et deux grands bancs de chaque côté.

Dans ces tiroirs il traîne des couteaux, de vieux oignons, du pain. Il y a des taches bleues au bord des croûtes, comme du vert-de-gris sur de vieux sous.