Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/59

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Sur les deux bancs s’abattent la famille et les domestiques.

On mange entre deux prières.

C’est l’oncle Jean qui dit le bénédicité.

Tout le monde se tient debout, tête nue, et se rassoit en disant : « Amen ! »

Amen ! est le mot que j’ai entendu le plus souvent quand j’étais petit.

Amen ! et le bruit des cuillers de bois commence ; un bruit mou, tout bête.

Viennent les grandes taillades de pain, comme des coups de faucille. Les couteaux ont des manches de corne, avec de petits clous à cercle jaune, on dirait les yeux d’or des grenouilles.

Ils mangent en bavant, ouvrent la bouche en long ; ils se mouchent avec leurs doigts, et s’essuient le nez sur leurs manches.

Ils se donnent des coups de coude dans les côtes, en manière de chatouillade.

Ils rient comme de gros bébés ; quand ils éclatent, ils renâclent comme des ânes, ou beuglent comme des bœufs.


C’est fini, — ils remettent le couteau à œil de grenouille dans la grande poche qui va jusqu’aux genoux, se passent le dos de la main sur la bouche, se balaient les lèvres, et retirent leurs grosses jambes de dessous la table.

Ils vont flâner dans la cour, s’il fait soleil, bavarder sous le porche de l’écurie, s’il pleut ; soulevant à peine