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les naufragés de l’air.

Tout en mangeant, on regardait. Cette partie de l’île Lincoln était réellement stérile et contrastait avec toute la région occidentale. Ce qui amena le reporter à faire cette réflexion, que si le hasard eût tout d’abord jeté les naufragés sur cette plage, ils auraient pris de leur futur domaine une idée déplorable.

« Je crois même que nous n’aurions pas pu l’atteindre, répondit l’ingénieur, car la mer est profonde, et elle ne nous offrait pas un rocher pour nous y réfugier. Devant Granite-house, au moins, il y avait des bancs, un îlot, qui multipliaient les chances de salut. Ici, rien que l’abîme !

— Il est assez singulier, fit observer Gédéon Spilett, que cette île, relativement petite, présente un sol aussi varié. Cette diversité d’aspect n’appartient logiquement qu’aux continents d’une certaine étendue. On dirait vraiment que la partie occidentale de l’île Lincoln, si riche et si fertile, est baignée par les eaux chaudes du golfe Mexicain, et que ses rivages du nord et du sud-est s’étendent sur une sorte de mer Arctique.

— Vous avez raison, mon cher Spilett, répondit Cyrus Smith, c’est une observation que j’ai faite aussi. Cette île, dans sa forme comme dans sa nature, je la trouve étrange. On dirait un résumé de tous les aspects que présente un continent, et je ne serais pas surpris qu’elle eût été continent autrefois.

— Quoi ! un continent au milieu du Pacifique ? s’écria Pencroff.

— Pourquoi pas ? répondit Cyrus Smith. Pourquoi l’Australie, la Nouvelle-Irlande, tout ce que les géographes anglais appellent l’Australasie, réunies aux archipels du Pacifique, n’auraient-ils formé autrefois une sixième partie du monde, aussi importante que l’Europe ou l’Asie, que l’Afrique ou les deux Amériques ? Mon esprit ne se refuse point à admettre que toutes les îles, émergées de ce vaste Océan, ne sont que des sommets d’un continent maintenant englouti, mais qui dominait les eaux aux époques antéhistoriques.

— Comme fut autrefois l’Atlantide, répondit Harbert.

— Oui, mon enfant… si elle a existé toutefois.

— Et l’île Lincoln aurait fait partie de ce continent-là ? demanda Pencroff.

— C’est probable, répondit Cyrus Smith, et cela expliquerait assez cette diversité de productions qui se voit à sa surface.

— Et le nombre considérable d’animaux qui l’habitent encore, ajouta Harbert.

— Oui, mon enfant, répondit l’ingénieur, et tu me fournis là un nouvel argument à l’appui de ma thèse. Il est certain, d’après ce que nous avons vu, que les animaux sont nombreux dans l’île, et, ce qui est plus bizarre, que les espèces y sont extrêmement variées. Il y a une raison à cela, et pour moi, c’est que l’île