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l’abandonné.

été mis en liberté. Il ne quittait plus ses maîtres et ne manifestait aucune envie de s’échapper. C’était un animal doux, très-vigoureux pourtant, et d’une agilité surprenante. Ah ! quand il s’agissait d’escalader l’échelle de Granite-house, nul n’eût pu rivaliser avec lui. On l’employait déjà à quelques travaux : il traînait des charges de bois et charriait les pierres qui avaient été extraites du lit du Creek-Glycérine.

« Ce n’est pas encore un maçon, mais c’est déjà un singe ! » disait plaisamment Harbert, en faisant allusion à ce surnom de « singe » que les maçons donnent à leurs apprentis. Et si jamais nom fut justifié, c’était bien celui-là !

La basse-cour occupa une aire de deux cents yards carrés, qui fut choisie sur la rive sud-est du lac. On l’entoura d’une palissade, et on construisit différents abris pour les animaux qui devaient la peupler. C’étaient des cahutes de branchages, divisées en compartiments, qui n’attendirent bientôt plus que leurs hôtes.

Les premiers furent le couple de tinamous, qui ne tardèrent pas à donner de nombreux petits. Ils eurent pour compagnons une demi-douzaine de canards, habitués des bords du lac. Quelques-uns appartenaient à cette espèce chinoise, dont les ailes s’ouvrent en éventail, et qui, par l’éclat et la vivacité de leur plumage, rivalisent avec les faisans dorés. Quelques jours après, Harbert s’empara d’un couple de gallinacés à queue arrondie et faite de longues pennes, de magnifiques « alectors », qui ne tardèrent pas à s’apprivoiser. Quant aux pélicans, aux martins-pêcheurs, aux poules d’eau, ils vinrent d’eux-mêmes au rivage de la basse-cour, et tout ce petit monde, après quelques disputes, roucoulant, piaillant, gloussant, finit par s’entendre, et s’accrut dans une proportion rassurante pour l’alimentation future de la colonie.

Cyrus Smith, voulant aussi compléter son œuvre, établit un pigeonnier dans un angle de la basse-cour. On y logea une douzaine de ces pigeons qui fréquentaient les hauts rocs du plateau. Ces oiseaux s’habituèrent aisément à rentrer chaque soir à leur nouvelle demeure, et montrèrent plus de propension à se domestiquer que les ramiers leurs congénères, qui, d’ailleurs, ne se reproduisent qu’à l’état sauvage.

Enfin, le moment était venu d’utiliser, pour la confection du linge, l’enveloppe de l’aérostat, car, quant à la garder sous cette forme et à se risquer dans un ballon à air chaud pour quitter l’île, au-dessus d’une mer pour ainsi dire sans limites, ce n’eût été admissible que pour des gens qui auraient manqué de tout, et Cyrus Smith, esprit pratique, n’y pouvait songer.

Il s’agissait donc de rapporter l’enveloppe à Granite-house, et les colons s’occu-