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l’île mystérieuse.

Vers la fin de l’été, la basse-cour possédait un beau couple d’outardes, qui appartenaient à l’espèce « houbara », caractérisée par une sorte de mantelet de plumes, une douzaine de souchets, dont la mandibule supérieure était prolongée de chaque côté par un appendice membraneux, et de magnifiques coqs, noirs de crête, de caroncule et d’épiderme, semblables aux coqs de Mozambique, qui se pavanaient sur la rive du lac.

Ainsi donc, tout réussissait, grâce à l’activité de ces hommes courageux et intelligents. La providence faisait beaucoup pour eux, sans doute ; mais, fidèles au grand précepte, ils s’aidaient d’abord, et le ciel leur venait ensuite en aide.

Après ces chaudes journées d’été, le soir, quand les travaux étaient terminés, au moment où se levait la brise de mer, ils aimaient à s’asseoir sur la lisière du plateau de Grande-Vue, sous une sorte de vérandah couverte de plantes grimpantes, que Nab avait élevée de ses propres mains. Là, ils causaient, ils s’instruisaient les uns les autres, ils faisaient des plans, et la grosse bonne humeur du marin réjouissait incessamment ce petit monde, dans lequel la plus parfaite harmonie n’avait jamais cessé de régner.

On parlait aussi du pays, de la chère et grande Amérique. Où en était cette guerre de sécession ? Elle n’avait évidemment pu se prolonger ! Richmond était promptement tombée, sans doute, aux mains du général Grant ! La prise de la capitale des confédérés avait dû être le dernier acte de cette funeste lutte ! Maintenant, le nord avait triomphé pour la bonne cause. Ah ! qu’un journal eût été le bienvenu pour les exilés de l’île Lincoln ! Voilà onze mois que toute communication entre eux et le reste des humains avait été interrompue, et, avant peu, le 24 mars, arrivait l’anniversaire de ce jour où le ballon les jeta sur cette côte inconnue ! Ils n’étaient alors que des naufragés, ne sachant pas même s’ils pourraient disputer aux éléments leur misérable vie ! Et maintenant, grâce au savoir de leur chef, grâce à leur propre intelligence, c’étaient de véritables colons, munis d’armes, d’outils, d’instruments, qui avaient su transformer à leur profit les animaux, les plantes et les minéraux de l’île, c’est-à-dire les trois règnes de la nature !

Oui ! ils causaient souvent de toutes ces choses et formaient encore bien des projets d’avenir !

Quant à Cyrus Smith, la plupart du temps silencieux, il écoutait ses compagnons plus souvent qu’il ne parlait. Parfois, il souriait à quelque réflexion d’Harbert, à quelque boutade de Pencroff, mais, toujours et partout, il songeait à ces faits inexplicables, à cette étrange énigme dont le secret lui échappait encore !