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l’île mystérieuse.

tions, et, quelques heures après, ils revenaient au rivage, rapportant les ustensiles et les armes, une récolte de graines potagères, quelques pièces de gibier et deux couples de porcs. Le tout fut embarqué, et le Bonadventure se tint prêt à lever l’ancre, dès que la marée du lendemain matin se ferait sentir.

Le prisonnier avait été placé dans la chambre de l’avant, où il resta calme, silencieux, sourd et muet tout ensemble.

Pencroff lui offrit à manger, mais il repoussa la viande cuite qui lui fut présentée et qui sans doute ne lui convenait plus. Et, en effet, le marin lui ayant montré un des canards qu’Harbert avait tués, il se jeta dessus avec une avidité bestiale et le dévora.

« Vous croyez qu’il en reviendra ? dit Pencroff en secouant la tête.

— Peut-être, répondit le reporter. Il n’est pas impossible que nos soins ne finissent par réagir sur lui, car c’est l’isolement qui l’a fait ce qu’il est, et il ne sera plus seul désormais !

— Il y a longtemps, sans doute, que le pauvre homme est en cet état ! dit Harbert.

— Peut-être, répondit Gédéon Spilett.

— Quel âge peut-il avoir ? demanda le jeune garçon.

— Cela est difficile à dire, répondit le reporter, car il est impossible de voir ses traits sous l’épaisse barbe qui lui couvre la face, mais il n’est plus jeune, et je suppose qu’il doit avoir au moins cinquante ans.

— Avez-vous remarqué, monsieur Spilett, combien ses yeux sont profondément enfoncés sous leur arcade ? demanda le jeune garçon.

— Oui, Harbert, mais j’ajoute qu’ils sont plus humains qu’on ne serait tenté de le croire à l’aspect de sa personne.

— Enfin, nous verrons, répondit Pencroff, et je suis curieux de connaître le jugement que portera M. Smith sur notre sauvage. Nous allions chercher une créature humaine, et c’est un monstre que nous ramenons ! Enfin, on fait ce qu’on peut ! »

La nuit se passa, et si le prisonnier dormit ou non, on ne sait, mais, en tout cas, bien qu’il eût été délié, il ne remua pas. Il était comme ces fauves que les premiers moments de séquestration accablent et que la rage reprend plus tard.

Au lever du jour, le lendemain, — 15 octobre, — le changement de temps prévu par Pencroff s’était produit. Le vent avait halé le nord ouest, et il favorisait le retour du Bonadventure ; mais, en même temps, il fraîchissait et devait rendre la navigation plus difficile.

À cinq heures du matin, l’ancre fut levée. Pencroff prit un ris dans sa grande