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les naufragés de l’air.

Les Cheminées offraient une retraite suffisante provisoirement. Le feu était allumé, et il serait facile de conserver des braises. Pour le moment, les coquillages et les œufs ne manquaient pas dans les rochers et sur la grève. On trouverait bien le moyen de tuer quelques-uns de ces pigeons qui volaient par centaines à la crête du plateau, fût-ce à coups de bâton ou à coups de pierre. Peut-être les arbres de la forêt voisine donneraient-ils des fruits comestibles ? Enfin, l’eau douce était là. Il fut donc convenu que, pendant quelques jours, on resterait aux Cheminées, afin de s’y préparer pour une exploration, soit sur le littoral, soit à l’intérieur du pays.

Ce projet convenait particulièrement à Nab. Entêté dans ses idées comme dans ses pressentiments, il n’avait aucune hâte d’abandonner cette portion de la côte, théâtre de la catastrophe. Il ne croyait pas, il ne voulait pas croire à la perte de Cyrus Smith. Non, il ne lui semblait pas possible qu’un tel homme eût fini de cette vulgaire façon, emporté par un coup de mer, noyé dans les flots, à quelques centaines de pas d’un rivage ! Tant que les lames n’auraient pas rejeté le corps de l’ingénieur, tant que lui, Nab, n’aurait pas vu de ses yeux, touché de ses mains, le cadavre de son maître, il ne croirait pas à sa mort ! Et cette idée s’enracina plus que jamais dans son cœur obstiné. Illusion peut-être, illusion respectable toutefois, que le marin ne voulut pas détruire ! Pour lui, il n’était plus d’espoir, et l’ingénieur avait bien réellement péri dans les flots, mais avec Nab, il n’y avait pas à discuter. C’était comme le chien qui ne peut quitter la place où est tombé son maître, et sa douleur était telle que, probablement, il ne lui survivrait pas.

Ce matin-là, 26 mars, dès l’aube, Nab avait repris sur la côte la direction du nord, et il était retourné là où la mer, sans doute, s’était refermée sur l’infortuné Smith.

Le déjeuner de ce jour fut uniquement composé d’œufs de pigeon et de lithodomes. Harbert avait trouvé du sel déposé dans le creux des roches par évaporation, et cette substance minérale vint fort à propos.

Ce repas terminé, Pencroff demanda au reporter si celui-ci voulait les accompagner dans la forêt, où Harbert et lui allaient essayer de chasser ! Mais, toute réflexion faite, il était nécessaire que quelqu’un restât, afin d’entretenir le feu, et pour le cas, fort improbable, où Nab aurait eu besoin d’aide. Le reporter resta donc.

« En chasse, Harbert, dit le marin. Nous trouverons des munitions sur notre route, et nous couperons notre fusil dans la forêt. »

Mais, au moment de partir, Harbert fit observer que, puisque l’amadou