En général, on a dit que ce but était de vivre conformément à la nature. Mais comment atteindre ce but si l’on ignore quel on est. Car un homme qui ne sait pas ce qu’il est ne saura certes point ce qu’il doit faire, de même que celui qui ne sait pas ce que c’est que le fer, ne saura pas s’il est propre ou non à couper ni ce qu’il faut faire pour qu’il coupe. Ainsi, la philosophie est une, et tous les philosophes, pour ainsi dire, tendant au même but, y arrivent par des routes différentes. Il suffit de l’avoir établi : passons maintenant à l’examen du cynisme.
[6] Dans le cas où les auteurs qui ont écrit sur cette matière l’auraient fait sérieusement et non pas avec une pointe de plaisanterie, j’aurais à suivre leurs idées et j’essayerais une critique détaillée de leurs opinions. Si, par impossible, leurs opinions s’accordaient avec celles des anciens, l’on ne pourrait nous accuser de faux témoignage ; si elles en différaient, il faudrait les bannir de nos oreilles, comme les Athéniens rejettent les faux titres du Métroüm[1]. Mais j’ai dit qu’il n’en allait point ainsi. Par exemple, les fameuses tragédies de Diogène ont été faites, dit-on, par un certain Philistus, d’Égine[2]. En tout cas, elles seraient de Diogène, qu’il n’y aurait rien d’étrange à ce qu’un philosophe eût voulu plaisanter. Beaucoup de philosophes semblent en avoir fait autant[3]. On dit que Démocrite riait quand il voyait les hommes agir sérieusement. Gardons-nous donc de ne voir que les jeux de leur esprit et ne faisons pas comme ceux qui visitent, sans avoir le désir d’apprendre quelque chose d’utile, une cité ornée de monuments religieux, pleine de cérémonies mystérieuses et de milliers de prêtres purs qui séjournent dans des endroits purs, et qui, pour maintenir cet état, c’est-à-dire la pureté de l’intérieur, en éloignent, comme autant d’embarras, d’immondices et de vilenies, les bains publics, les lupanars, les cabarets et tous les établissements du même genre. Supposons qu’on s’arrête à ces objets extérieurs,
- ↑ Voyez plus haut, Sur la Mère des Dieux, p. 132 notes 2 et 3.
- ↑ Cf. Diogène de Laërte à l’endroit cité p. 42.
- ↑ « On ne s’imagine d’ordinaire Platon et Aristote qu’avec de grandes robes et comme des personnages toujours graves et sérieux. C’étaient d’honnêtes gens, qui riaient comme les autres avec leurs amis ; et quand ils ont fait leurs lois et leurs traités de politique, ç’a été en se jouant et pour se divertir. C’était la partie la moins philosophe et la moins sérieuse de leur vie. La plus philosophe était de vivre simplement et tranquillement. » PASCAL, Pensées, partie I, article ix, 55, édit. Charpentier.