Page:Julien empereur - Oeuvres completes (trad. Talbot), 1863.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fille publique, ce qui lui arriva peut-être une fois, et pas même une fois, un homme qui, dans tout le reste, ne sera pas moins digne de respect que Diogène, agit-il ainsi au grand jour et sous les yeux de tous, n’encourra ni notre blâme, ni nos accusations, pourvu toutefois qu’il nous reproduise la solide instruction de Diogène, sa pénétration, sa franchise parfaite, sa tempérance, sa justice, sa sagesse, sa piété, sa grâce, son attention à ne rien faire d’irréfléchi, d’inutile, de contraire à la raison ; car ce fut là le caractère propre de la philosophie de Diogène ; qu’il foule aux pieds la vanité, qu’il se moque de ceux qui se cachent pour satisfaire leurs besoins naturels, et j’entends par là les déjections du ventre, qui, au milieu des places publiques et des villes, commettent des actes violents et contraires à notre nature, vols d’argent, calomnies, procès iniques, et mille autres vexations odieuses. S’il est vrai, comme on le dit, que Diogène ait peté sur l’agora, qu’il y ait soulagé son ventre, ou fait quelque autre chose pareille[1], ce n’était que pour mater l’orgueil des autres et pour leur apprendre qu’ils avaient des goûts bien plus vils et bien plus abjects. Ces besoins, en effet, sont une suite de notre nature, tandis que tous les vices pour ainsi dire sont chez qui que ce soit une suite de dépravation. Mais les modernes sectateurs de Diogène, imitant de sa conduite le plus facile et le plus léger, n’ont pas vu le meilleur. Et toi, qui veux être plus respectable qu’eux, tu t’es si gravement mépris sur son plan de conduite que tu l’as cru malheureux. Si tu t’en étais fié à ce qu’on a dit de cet homme éminent que tous les Grecs de son temps ont admiré après Socrate, Pythagore, Platon et Aristote, qui eut pour auditeur le maître du très-sage et très-intelligent Zénon[2], si bien qu’il n’est pas croyable que tout le monde se soit trompé sur le compte d’un homme aussi méprisable que tu le dis, mon cher ami, dans un style comique, peut-être alors l’aurais-tu examiné de plus près et ton expérience serait-elle allée plus loin dans l’examen de ce sage. Car quel est celui des Grecs que n’ont pas frappé d’étonnement la constance et la patience de Diogène, comparées à la somptuosité d’un roi ? Il dormait mieux sur une natte, dans son tonneau, que le grand roi sous des lambris dorés, sur une couche moelleuse. Il mangeait son biscuit avec plus de plaisir que toi, dans ce moment, les mets siciliens. En sortant d’un bain

  1. Voyez Diogène de Laërte à l’endroit cité p. 23 et 36.
  2. Cratès.