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xiv
ÉTUDE SUR JULIEN.

tiner. Mais une fièvre qui avait pris Constance à Antioche s’étant augmentée par les fatigues de la route et les agitations de son esprit, il est obligé de s’arrêter dans la petite ville de Mopsucrène, près de Tarse, en Cilicie. Au bout de quelques, jours, il y meurt à l’âge de quarante-cinq ans, après vingt-quatre ans de règne, laissant Julien seul maître du monde[1].

Comme Annibal devant les restes de Marcellus, comme César devant le corps mutilé de Pompée, le nouvel empereur s’inclina devant la dépouille mortelle de son ennemi. L’entrée triomphale, que lui ménagèrent à Constantinople l’armée, le sénat et le peuple, ne l’exalta point jusqu’à l’ivresse de l’orgueil. Quand on débarqua les restes de Constance, il suivit le convoi funèbre jusqu’à l’église des Saints Apôtres, à pied, sans diadème, en habits de deuil, versant des larmes. Parvenu au comble de la puissance, il en avait sous les yeux le néant ; et sa haute intelligence, qui s’était fait une juste idée des devoirs d’un monarque, comprenait, mieux que jamais, sans doute, qu’il est plus facile de connaître que de pratiquer l’art de gouverner un empire. Cependant il se met résolûment à l’œuvre, et il commence l’exécution du double dessein qu’il s’était proposé, vaincre au dedans le christianisme, au dehors les Perses. Pour réduire l’un, il emploie toutes les armes que lui fournissent son talent d’écrivain et son pouvoir sans bornes : polémiste et persécuteur, il essaye de ruiner la secte galiléenne par la dialectique et par la raillerie ; puis, quand la résistance l’aigrit et l’irrite, il recourt à la menace, à la proscription, aux supplices. Pour refouler et dompter les Perses, il dirige et masse ses troupes du côté de Zeugma, d’Hiérapolis et de Carrhes, afin de traverser le Tigre et l’Euphrate et d’entrer chez les ennemis.

En attendant le double triomphe qu’il espère, il s’acquitte gravement, noblement, de la tâche difficile que le destin vient de lui imposer. Nul ne prend plus au sérieux que lui son rôle de souverain. Laborieux, vigilant, actif, il donne sur le trône l’exemple de cette ardeur infatigable, qu’il a montrée dans les écoles des philosophes et à la tête des armées.

  1. Constance mourut le 3 novembre de l’an 361 après J.-C. « On dit que, avant de mourir, il nomma Julien son successeur ; et il paraîtrait assez probable que son inquiétude pour une jeune épouse qu’il aimait tendrement et qu’il laissait enceinte, l’eût emporté, dans les derniers moments de sa vie, sur ses sentiments de haine et de vengeance. » Gibbon.