Page:Julien empereur - Oeuvres completes (trad. Talbot), 1863.djvu/74

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traduction. Si nous n’avons pas trahi la pensée, ni altéré l’expression de l’auteur, que nous nous sommes proposé de faire connaître, Julien, littérateur et philosophe, doit revivre dans les pages qui suivent tel qu’il est, avec ses qualités et avec ses défauts. Intelligence vaste et saine, conception vive et rapide, esprit souple et multiple, imagination brillante et mobile, mémoire exercée et enrichie par des lectures incessantes, il a tout ce qu’aurait pu souhaiter de son temps le sophiste le plus ambitieux et le plus soucieux de la faveur publique. Aussi nous le voyons s’emparer de tous les sujets qui agréent aux philosophes ou aux orateurs de cette époque et les traiter avec succès. L’élévation platonicienne de Jamblique, de Porphyre et de Proclus, la solennité parfois éloquente de Libanius, l’onction de saint Basile, la facilité narrative de Plutarque, la verve étincelante et l’amertume railleuse de Lucien, semblent s’être donné rendez-vous sous la plume d’un écrivain, qui joint en outre aux souvenirs les plus variés de la littérature profane la connaissance approfondie des Écritures saintes et des livres chrétiens. De là un style qui étonne chez un auteur de décadence. On ne s’attend point à y trouver tant de vigueur et de précision, tant de finesse et de grâce, et l’on ne peut attribuer qu’à un commerce continu avec les meilleurs écrivains des bons temps de la Grèce cette saveur agréable et cet aimable parfum d’antiquité. C’est là ce qui fait l’originalité de Julien. La trempe singulière, étrange même de son caractère, imprime à son style un cachet propre, une physionomie qui n’est qu’à lui. Ses lettres surtout ont une tournure pour ainsi dire individuelle, qui donne raison à Libanius, quand il dit que Julien s’y montre supérieur à lui-même. Mais la mesure qui manqua souvent à Julien dans sa conduite, lui manque aussi dans ses écrits. La fougue emportée, la saillie brusque d’action que provoque en lui la résistance et qui contrastent avec sa temporisation, sa patience accoutumée, éclatent dans son style en mouvements mal réglés, en tons mal fondus, en disparates choquantes. On s’aperçoit que le goût exquis de ses modèles n’est point la qualité foncière ni le guide inné de leur copiste, et l’on reconnaît dans maint passage que les procédés de l’école éteignent chez lui le sentiment du beau naturel, qui fait le charme toujours nouveau, la jeunesse perpétuelle des grands écrivains. La faute en est encore à cette diffusion, à cet éparpillement de l’activité littéraire de Julien. Il étreignit mal pour avoir trop