Page:Kahn - Symbolistes et Décadents, 1902.djvu/30

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lencontreux et affichant. Le premier soir où je vis Mallarmé où nous causâmes très rapidement de tout, de notre art, du but de l’art, des contemporains, du passé, du présent, Mallarmé s’aperçut très vite que je connaissais assez peu Aloysius Bertrand, parcouru trop vite à la Bibliothèque, et presque pas Villiers. Ce lui fut une peine, mais il fallait alors plus que de la bonne volonté pour découvrir Villiers, il y fallait de l’érudition. Heureusement Mallarmé possédait un Villiers unique alors, complet, fait de volumes épuisés, et de pages de revues découpées, que j’emportais avec un Bertrand, et un Diex que, selon Mallarmé, il fallait non seulement aimer mais savoir par cœur, au même titre que dans Verlaine, au moins les Fêtes Galantes.

Mallarmé avait fort goûté ce qu’il appelait une façon nouvelle et si musicale de traiter la prose ; quand nous causâmes vers, ce fut autre chose ; je lui parlais de la nécessité de desserrer l’instrument, il me répondit qu’il fallait, à son sens, resserrer l’instrument jusqu’aux dernières possibilités. Ce ne fut que bien plus tard, deux ans avant sa mort, que Mallarmé reprenant la conversation, et me rappelant le moment, me parla du poème. Un coup de dés jamais n abolira le hasard, que devaient suivre neuf autres poèmes ; il voulut bien me dire avec une amicale condescendance qu’il se ralliait à moi, politesse exquise et rendue à moi qui lui devais tant de m’a voir été un tel exemple de hauteur, d’art et d’indifférence au grognement des gâcheurs d’encre.

Je me suis quelquefois repenti de n’avoir pas plus insisté auprès de Mallarmé sur toutes les bonnes rai-