Page:Kahn - Symbolistes et Décadents, 1902.djvu/33

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Je l’avais un peu remarqué à cause de sa tenue, et aussi pour cette particularité, qu’il semblait ne pas venir là pour autre chose que pour écouter des vers, ses tranquilles yeux gris s’éclairaient et ses joues se rosaient quand les poëmes offraient le plus petit intérêt. Nous causâmes, tandis que Joseph Gayda, sur le tréteau, assurait qu’il ne voulait plus aimer que des femmes de pierre, et à la dispersion nous remontâmes un peu par les rues. Il m’apprit qu’il se voulait consacrer à l’histoire de l’art et il méditait aussi un drame sur Savonarole. Il fut convenu que nous nous reverrions ; nous nous montrâmes nos bagages littéraires, le sien consistait en une petite étude lyrique sur Watteau et quelques sonnets infiniment impeccables, et écrits sur des phénomènes de la rue, des enfants dont la chemise passe, et les points les plus élevés d’une sérieuse cosmogonie. Il prêta une oreille attentive à mes idées de rhythmique, à qui il voulut tout de suite considérer une grande portée ; pourtant il continua quelque temps encore à écrire des sonnets, il en fit un petit volume, je ne les connus pas tous, je crois que trop précipitamment il les détruisit. Il m’en dit quelques-uns, en réciprocité de mes essais, en de longues promenades à pied que nous faisions dans les coins excentriques de Paris, trace indéniable d’une influence naturaliste qui s’apalissait.

C’est un de mes plus chers souvenirs que celui de ces après-midi de l’été 1880. Ce cerveau déjeune sage, d’une étonnante réceptivité, d’une extrême finesse à saisir les rapports, les analogies, m’intéressait infiniment. Au cours des promenades, où un livre à la main, quelque