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PRÉFACE.


unissaient alors à Kœnigsberg ces deux enseignements. Kant prit pour texte de ses leçons le livre d’un de ses collègues, Samuel Bock. Mais il s’écartait librement de son texte, notant au fur et a mesure, ses impressions et ses idées. Ce sont ces notes que Rink a publiées. Enfin Kant ne fut pas seulement pédagogue par occasion ou par nécessité. Il le fut par goût, au point que la lecture de l’Émile troubla l’économie de ses promenades quotidiennes, comme fit plus tard la Révolution française. — Une espèce de fou, accompagné d’un enfant de huit ans, traverse Kœnigsberg, tête et pieds nus, le corps enveloppé d’une peau de bête. Il fait courir toute la ville et pique toutes les curiosités. Mais ce qui intéresse Kant, c’est l’âme de cet enfant qui n’a connu ni maître ni discipline, et peu s’en faut qu’il ne se passionne pour cet Émile plus sauvage qu’Émile.

En dépit des théories que nous avons dites, les méthodes d’apprentissage moral, les leçons à tirer des événements et des doctrines, les délicatesses de la casuistique, l’étude minutieuse des voies et moyens de la vertu ont de tout temps préoccupé son esprit, façonné par une mère piétiste, et qui devait garder ineffaçables les impressions du jeune âge. Dans un écrit sur les tremblements de terre, méditant sur l’impitoyable nécessité des lois naturelles ou divines, qui déroutent nos calculs et broyent nos espérances, il est conduit, comme par la pente naturelle de sa pensée ordinaire, à conclure que le bonheur humain n’est pas de ce monde, et qu’il y faut sans doute chercher autre chose, conclusion au moins inattendue d’une dissertation scientifique. De même l’analyse des sentiments du beau et du sublime lui sert d’introduction à l’analyse de cette sublimité entre toutes : une bonne action. Le programme de ses leçons pour le semestre d’hiver 1765-17G6 est une véritable profesion de foi pédagogique : le maître ne doit pas enseigner des pensées, mais à penser. Le livre n’est qu’un prétexte, une matière à réflexion. L’acquisition des connaissances positives n’est que